CHATEAUNEUF-D'ISÈRE



Lacroix : Statistiques du département de la Drôme 1835



CHATEAUNEUF-D'ISÈRE



CHATEAUNEUF-D'ISÈRE. - Ce village appartient au canton du Bourgdu-Péage ; il est adossé à un coteau de pierre mollasse, au bord et sur la rive gauche de l'Isère. Il y a un bac pour communiquer avec l'autre rive, sur laquelle on voit, à 10 minutes de distance, en descendant la rivière, le village de Beaumont-Monteux, qui fait partie du canton de Tain.
La voie romaine d'Arles à Vienne passait non loin de Châteauneuf, au quartier des Robins. Il y existait sur l'Isère un pont qu'on trouve dénommé dans de vieux titres le pont de la Déesse, parce que Cybèle avait eu un temple tout près de là.
C'est de ce même lieu que M. de Sucy fit transporter à Valence, en 1786, le taurobole que lui céda M. Rolland-Fromentière, et qu'on voit aujourd'hui chez M. de Chièze.
On a, dit-on, trouvé dans un champ, au même quartier, beaucoup de tombeaux antiques entassés les uns sur les autres. Ils étaient composés d'un ciment fort dur, et renfermaient presque tous des vases en terre, dans lesquels étaient des médailles ou des pièces de monnaie qu'on n'a pas eu le soin de conserver.
A quelque distance, et au levant du village, il y a de belles carrières, dont l'exploitation forme la principale richesse du pays. Ce sont des grottes souterraines très élevées, creusées en tous sens, s'étendant au loin, et dans lesquelles on entre par un grand portail taillé dans la pierre. Les voitures circulent sous les principales voûtes, et les chargemens se font dans la carrière même. Cependant on ne peut y pénétrer qu'avec de la lumière. Au fond d'une de ces grottes est une petite fontaine d'où jaillit une eau très limpide et fort agréable à boire.
On se fait une idée, dans ces profondeurs, de ce qu'étaient les catacombes de Rome, car ce n'étaient non plus que des grottes souterraines d'où l'on tirait des pierres et du sable, mais dans lesquelles on enterrait les corps morts, ce qu'on ne fait point à Châteauneuf.
Entre les carrières et le village, on voit, sur une éminence, les ruines de l'ancien château de Saint-Hugues. Au-dessous de ces ruines, dans une grotte du côté de l'Isère, est la fontaine de Saint-Hugues. L'eau est recueillie dans un bassin, et la grotte est fermée à clef. On vient de fort loin chercher de cette eau, que, par dévotion, on regarde comme un spécifique contre la fièvre et les maux d'yeux. Elle n'a, du reste, aucune propriété particulière, aucun goût qui lui soit propre : elle n'est point minérale.
De l'éminence où sont les ruines du château de Saint-Hugues, on jouit de la vue la plus variée et la plus étendue : on suit le cours de l'Isère dans toutes ses sinuosités, jusqu'à son embouchure dans le Rhône ; on distingue parfaitement la chaîne des montagnes du Vivarais ; on domine enfin toute la plaine comprise entre l'Isère et l'Hermitage, une partie du canton de Romans, Clérieux et les villages voisins.
C'est dans ce château qu'est né Saint Hugues, l'un des hommes les plus distingués de son temps. D'abord chanoine de l'église de Valence, il mourut évêque de Grenoble en 1132, après un épiscopat de 52 ans. Il fut lié avec Pierre-le-Vénérable et Saint Bernard, abbé de Clairvaux. Il marqua au concile de Clermont, où fut résolue la première croisade, en 1095. Ce fut lui qui appela, en 1086, Saint Bruno et ses compagnons à la grandechartreuse de Grenoble, dont, par cette raison, il est regardé comme le fondateur.
Le territoire de Châteauneuf est fort étendu : il occupe presque toute la rive gauche de l'Isère jusqu'au Bourg-du-Péage.
C'est sur cette rive, sur une éminence et à une demi-lieue de Romans, que sont les ruines de l'ancienne abbaye de Vernaison.
On voit dans l'ouvrage de M. de Catellan, sur les Antiquités de l'église de Valence, qu'au XIIme siècle ce lieu se nommait Commerci. Le seigneur de Châteauneuf en fit don à des religieuses de l'ordre de Citeaux, qui y fondèrent un monastère sous le nom de Notre-Dame-de-Commerci. On ignore à quelle époque elles quittèrent ce nom pour prendre celui de Vernaison ; on ne sait pas non plus les motifs qui les déterminèrent à faire ce changement. Le monastère se maintint à Vernaison jusqu'en 1616.
Henri IV n'était plus. Marie de Médicis, qui régnait sous le nom du jeune roi, son fils, ranimait le feu mal éteint des discordes civiles. Tout présageait de nouveaux troubles ; on craignait de nouvelles persécutions. Les religieuses de Vernaison ne voulurent pas rester plus long temps exposées aux dangers que cet isolement dans la campagne leur avait fait courir pendant les dernières guerres civiles : elles vinrent s'établir à Valence, dans les bâtimens qui portent encore aujourd'hui le nom de Vernaison, et où se trouve casernée la gendarmerie.
Une fête religieuse, un voeu, une sorte de pélerinage, attirait à Vernaison, le lundi de Pâques de chaque année, la population presque entière des environs. Cet usage survécut à la suppression du monastère et à sa translation à Valence. L'église restait : elle renfermait, disait-on, quelques reliques, et les uns continuaient d'y aller par dévotion, les autres par l'attrait du plaisir. Des siècles se sont écoulés, de nombreuses générations ont passé, et cet usage subsiste encore.
Le lundi de Pâques, la ville de Romans est presque déserte : les habitans de tout sexe, de tout âge et de toute condition, se portent à Vernaison ; ils y vont comme y allaient leurs pères. On établit exprès, ce jour-là, un bac pour faciliter la communication d'une rive à l'autre de la rivière. On va se promener, danser et manger des pognes à Vernaison : ce sont des gâteaux d'une pâte fine et délicate, dans laquelle il entre beaucoup d'oeufs. On en fait une consommation extraordinaire. Les familles les plus pauvres font ou achètent des pognes : c'est un usage obligé. On le fait ainsi depuis des siècles : on ne saurait s'en passer le lundi de Pâques.
Le tableau que présente Vernaison est pittoresque et riant : les deux rives de l'Isère sont couvertes d'une population nombreuse qu'anime le plaisir. Chaque société forme sa danse ou sa ronde. Près du rustique villageois, qui danse la bourrée et le rigodon des montagnes, le citadin étale sur la pelouse, dans la valse et la contre-danse, la grâce et la légèreté des jeunes gens à la mode. Ici, ce sont des tables de cabaret, autour desquelles se rassemble une joyeuse et bruyante compagnie ; là, ce sont des cafés en plein vent, avec de prétentieuses enseignes ; plus loin, ce sont des jeux d'adresse, des roues de fortune, des jeux de hasard, des chanteurs, des joueurs d'instrumens, des cabinets de curiosités, des meneurs d'ours, et partout de la gaîté, des dragées et des pognes.
On y voit encore les ruines de l'ancienne église. Elle appartient aujourd'hui à un cultivateur, qui sait tirer fort bon parti des souvenirs qui s'y rattachent : il place à la porte de l'église une sorte de reliquaire, où sont, dit-il, des ossemens de Saint Benoit, qu'en patois il nomme San Benit : on ne les voit qu'en payant. Les inscriptions des reliques, dont on pense bien que rien ne garantit l'authenticité, ne mentionnent pas même Saint Benoit ; elles portent les noms de Probus, Severina, Amantius, Castus, et rien de plus. Le propriétaire s'inquiète peu qu'il y ait contradiction entre ce qu'il dit et ce qui est écrit : il a affaire à gens qui, pour la plupart, ne savent pas lire ; ils regardent, paient et se retirent : c'est tout ce qu'il veut.

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